BIO-BIBLIO

BIO

ROCHER CHRISTOPHE

 

 

1 J’avais une certaine sensibilité étant petit et un œil très curieux. J’étais fasciné par les œuvres surréalistes du peintre René Magritte. Je m’intéressais à son appréhension des images, et à son pouvoir de refaire et de conserver le monde. Je dessinais beaucoup vers l’âge de 6 ans. Je reproduisais des illustrations venues tout droit d’encyclopédies que je possédais. Tout ce qui m’entourait était une source d’inspiration: la nature, le monde. J’ai depuis toujours développé mon côté créatif. Tout ce que je touchais, je le transformais. Depuis l’enfance je n’ai cessé de m’abandonner à ces pratiques au plus près du motif. C’était pour moi une manière de m’exprimer, comme une affirmation de ma personnalité.

2 Les années ont passé et j’ai fait plusieurs concours. De 2004 à 2010 j’ai fait mes études à l’Université Rennes 2 Haute Bretagne pour me perfectionner. J’ai un Master 2 recherche en arts plastiques option art, lettre, et poésie. Au début j’ai beaucoup utilisais le médium photographique. Mon sujet était la photobiographie. Pour la réalisation de mes photographies, j’utilisais l’appareil photo numérique. La simplicité de création et la diffusion des images, était pour moi un gain de temps et une rapidité d’exécution lors de mes déplacements. L’appareil photo numérique s’intègre aux fondements mêmes de notre vie, les gens l’utilisent pour enregistrer les événements de leur vie quotidienne, transformant l’anecdotique en chronique intime. La photographie est souvent utilisée pour raconter une histoire. Cela devient de la « narration numérique ». Quand je réalisais une photo, mes autoportraits étaient mis en scène. Au lieu de raconter ma vie dans un journal intime, je troquais mon stylo pour un appareil photo numérique. L’appareil photo devient plus qu’un simple mécanisme d’enregistrement, il crée la réalité qu’elle exprime. L’écran permet de voir l’image avant de la prendre, mais aussi de diriger l’appareil vers soi-même et d’utiliser l’écran comme un miroir où je pouvais observer et enregistrer mes propres actions. Dans mes photos les angles assombris faisaient un effet d’entonnoir, et suggèrent le resserrement de la vision, vers une scène surgit du passé. Puis je me suis dirigeais vers la peinture.

 

3 Cela fait quelques années maintenant que je me suis tourné vers la peinture. J’aime ce rapport direct avec la surface, comme un témoigne de mon expression. Au début, ce travail procédait à la mise en place d’un long processus de remémoration. Je figurais ce qu’il restait de mes souvenirs, comme un récit à la première personne où l’intime serait un moyen d’aborder le monde et d’impliquer les autres. Dans ce fatras hétéroclite naissaient toutes sortes d’associations : le portrait, les formes, les éléments du quotidien et la couleur, qui nous invitaient à une poésie Pop bariolée. Ce travail permettait à la fois de ressusciter l’image d’un passé, de le digérer, et de faire vivre le sentiment qui liait chacun de nous au moment présent. Chaque jour était l’occasion d’affronter le présent ou le passé, comme une frénésie de créer, seul remède pour figurer une beauté fragile, comme une jouissance esthétique. Mon but n’était pas de représenter le réel comme je l’avais vu, mais un réel à nouveau recréé. Si le temps représenté dans la peinture se conformait dans des chimères, les thèmes représentés pouvaient-ils être exacts ? La peinture et les sujets picturaux permettaient de questionner les relations qui se nouent entre illusion, réalité, imaginaire, avec une grande liberté.

 

Aujourd’hui les thèmes récents sont l’association entre l’abstraction et le figuratif. Ma pratique est une forme de liberté qui a un but purement esthétique. La peinture surprend au premier regard tant par la richesse de la couleur, que par la composition qui est dense et dynamique. Se trouve aussi une accumulation, une juxtaposition d’éléments hétérogènes. C’est la conséquence de mon intérêt pour le corps, et surtout le corps féminin, les objets du quotidien, la nature, l’humain…C’est la trace d’un vécu, d’une mémoire collective. La peinture devient gestuelle, comme émotive, se libérant parfois de toutes formes de représentation. Sur les plans techniques et formels, ce travail dénote un équilibre particulier, entre le vécu et le présent, entre la réalité et la psychologie. Les éléments esthétiques qui y sont associés relèvent presque du fantasme: parties de corps dénudées, associations d’éléments burlesques, portrait à l’envers, masque, regards vides d’expressions. Il n’est pas nécessaire de peindre un regard, je veux que l’on s’attarde sur ce qu’il se passe autour. Je veux célébrer le monde visible et invisible, chargé de réminiscences diverses, pour construire une nouveau monde, un univers féerique, parfois enfantin. C’est un langage personnel vers la vie, comme une fenêtre sur le monde, sur mon mode, un cheminement artistique en quête de ma propre vérité sur le plaisir de peindre. Derrière les couleurs très vives qui caractérisent mon travail, se trouve des gestes accidentels uniques, et impossibles à reproduire. Ils se trouvent ainsi sublimés par des cernements ou l’ajout de noir. J’élabore parfois un art du portrait et de sa fragilité, de la mise en scène simplifié et souvent à la limite de l’abstraction, proposant un ensemble très riche. Je ne respecte pas forcément la couleur mimétique du sujet.

 

4 Je trouve mon inspiration en prenant des notes. J’épluche des magazines, et j’observe par exemple les panneaux publicitaires qui m’aident beaucoup pour la composition des couleurs. J’ouvre mes livres d’art, et je me sers de ma mémoire visuelle. Lors de mes sorties dans les musées, je me nourris de toutes ces informations et je les digère. Quand je me promène, je réalise des croquis, et tout ce qui m’entoure et une source d’inspiration: les codes des couleurs, les contrastes, l’association des formes. J’adore observer les gens. Je recherche en eux une personnalité, un style ou un genre, qui puisse influencer mes personnages. Certaines personnalités sont comme des icônes. Je peux m’appuyer sur d’anciennes photos, ou même me baser sur les souvenirs d’un rêve.

 

5 Beaucoup de peintres contemporains peuvent m’influencer comme Vincent Bioulès par exemple.  C’est un artiste peintre contemporain, jouant sur l’abstraction radicale jusqu’au monochrome. Il ne fait rien comme tout le monde et c’est un contestataire. Quand l’abstraction devient une référence et même une mode il envoie tout valser. Puis il revient à la figuration. On peut le comparer à plusieurs artistes: le sens d’un Cézanne, utilise les formes brisées d’un Braque, les couleurs d’un Matisse, la sensibilité d’un Bonnard. La couleur est toujours déterminante, elle prend forme et se découpe et plus question de suivre de règles, mais plutôt de les réinventer. La tradition est un support que l’artiste va modeler, revisitant les grands sujets intemporels, comme le paysage et le portrait, le nu, avec une liberté absolument extraordinaire. Son travail est une traversé des styles, avec une remarquable stylisation du motif. Je m’intéresse beaucoup aussi aux œuvres de l’artiste peintre Kupka. Il faisait parti de la génération des symbolistes, et il avait pour habitude de représenter des idées abstraites vers le passage du non figuratif. Il avait pour but de représenter la couleur qui était essentielle. Il évoluait avec son temps et s’appuyait sur les avancées technologiques. Trouvant que la peinture figurative a été tuée par la photographie et la vidéo, il se dirigea vers l’abstraction pour représenter le vitalisme, c’est-à-dire la vibration du monde. Pour finir, l’artiste Alexej Von Jawlensky m’intéresse beaucoup. Dans ses tableaux des lignes noires dessinent les contours d’un visage simplifié, qui occupe toute la surface du tableau. C’est une sorte de codification, voir même une schématisation du visage réduit à quelques signes comme le nez, les yeux, et les cheveux. La juxtaposition de couleurs pures et primaires confère à son œuvre une certaine agressivité accentuée par les yeux fixes de la figure. À la frontière entre l’image et l’icône et l’exploration de l’ombre et de lumière. Ses visages deviennent impersonnels et réduits à des lignes libres agrémentés de couleurs. Il se dirige vers un visage vivant tout en simplifiant  les proportions et en accentuant les lignes et en intensifiant les couleurs.  D’autres artistes plus actuels m’inspirent énormément comme: Anna Tuori, Norbert Bisky, Key Hiraga, David Salle.

6  Une de mes dernières œuvres qui attire toute mon attention est Les sorties de bain, réalisée en 2020. C’est un peu la concrétisation de mes exercices et sur quoi je veux aller maintenant comme technique. Le corps et les formes se libèrent de tout attache avec le réel. Avec cette peinture j’affirme radicalement mon propre style. Tous les procédés sont autorisés: tendance constructive de la peinture ainsi que sa composition, et utilisation de différentes matières. Je m’octroie beaucoup plus de liberté, et tout devient possible: agencement des éléments, combinaison de formes et de couleurs. Les deux femmes dénudées semblent s’activer, voir vibrantes. L’accumulation des lignes associées au corps est fidèle à l’abstraction. J’improvise et je compose avec ce que je ressens devant la nature extérieure. Je suis attentif à ce que me dicte mon intérieur. C’est une recherche permanente de l’équilibre entre forme, couleur, et composition. C’est une création folle qui me permet de sortir du réel.

 

Christophe Rocher, Les sorties de bain, 2020, technique mixte, 120*120 cm, Lyon

 

 

7  Je vous avais parlé précédemment de mon œuvre Les sorties de bain. Je questionne la représentation du corps, le choc des couleurs et des lignes. La couleur, la forme et le dessin sont complémentaires ou indépendantes. Je veux continuer à figurer des masques colorés, des paysages, des éléments de la nature, et tout ce qui touche à la beauté, à la sensibilité, comme la sensation d’un souvenir. C’est en quelque sorte capter l’essence spirituelle de la réalité, en restant sur la dynamique du geste, avec des couleurs toujours aussi éclatantes. Je veux dissoudre la figuration tout en restant dans l’expression. Je reste fidèle à la façon dont je veux peindre. Avant je composais avec des structures de formes ou des trames noires, pour ensuite appliquer différentes zones de couleurs. Je continuerai à révéler aussi l’aspect psychologique, mettant en lumière le reflet de l’âme humaine et de ses tourments. Une composition vouée à la rêverie, à l’euphorie. Ça sera peut-être la synthèse de ce que j’aurais produit depuis le début.

8 Tout d’abord je pose mes idées sur une feuille, pour ensuite faire des croquis et des esquisses. J’organise les éléments entre eux comme un squelette. Puis en fonction du format que j’ai préalablement choisi, je reproduits au crayon à papier ces éléments. Je peux aussi directement appliquer de la couleur sur la surface et travailler ensuite par-dessus. Le hasard ou les accidents survenus au moment de la réalisation sont importants. Le dessin peut changer totalement par rapport à l’idée initiale. J’aime ce changement de dernière minute. Je peux aussi changer totalement d’idée en cours de route. J’adore l’effet de surprise. Si mon œuvre ne ressemble plus à celle que j’avais pensé au départ ce n’est pas grave! Je mets entre trois jours à une semaine pour réaliser une peinture… Tout dépend de la dimension du format ou si je n’ai pas changé d’idée à la dernière minute!

 

9 « L’autobiographie, c’est l’art de ceux qui ne sont pas artistes, le roman de ceux qui ne sont pas romanciers. Être artiste ou romancier consiste à posséder la lampe de mineur qui permet à l’homme d’aller par-delà sa conscience chercher les trésors obscurs de sa mémoire et de ses possibilités. Écrire une autobiographie, c’est se limiter à une unité artificielle ; faire une œuvre d’art, créer les personnages d’un roman, c’est se sentir dans sa multiplicité profonde ».

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Bibliographie de recherche

 

Erving Goffman, « La mise en scène de la vie quotidienne », La présentation de soi, Paris, Les éditions de minuit, 1973.

Christian Boltanski, catalogue d’exposition, Paris, Centre national d’art moderne et de culture Georges Pompidou, 1984, pp.100-105.

France Borel, « Le vêtement incarné », Les métamorphoses du corps, Paris, Calmann Lévis, 1992, p18-20.

Gumpert Lynn, Christian Boltanski, Paris, Flammarion, 1992, 189p.

John Pultz, Le corps photographié, Paris, Flammarion, 1995.

Michel Journiac, catalogue d’exposition, Nantes, Ecoles régionales des Beaux-Arts, 1995.

Serge Tisseron, « Le mystère de la chambre claire », Photographie et inconscient, Paris, Les Belles lettres, 1996.

Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris, Les Ed. du Seuil, 1996.

Jacques Chabot, L’autre et le moi chez Proust, Paris, H. Champion, 1999.

« Présumés innocents », L’art contemporain et l’enfance, catalogue d’exposition, Bordeaux, capc Musée d’Art Contemporain, 2000.

Dominique Baqué, «La photographie plasticienne», Un art paradoxal, Paris, Les Ed. du Regard, 1999.

Elzbieta, L’Enfance de l’Art, Paris, éditions du Rouergue, 2001.

Françoise Parfait, «Vidéo», Un art contemporain, Paris, Les Ed.du Regard, 2001.

«L’anonyme», Rencontres internationales de la photographie 2001, catalogue d’exposition, Arles, Bouches-du-Rhône, Actes Sud, 2001.

Muriel Gilbert, «L’identité narrative», Une reprise à partir de Freud de la pensée de Paul Ricoeur, Genève, Labor et Fides, 2001, p.18, 123.

Géorgio Agamben, «Image et mémoire », Ecrit sur l’image, la danse et le cinéma, Paris, Desclée de Brouwer, 2004.

Michel Journiac, catalogue d’exposition, Strasbourg, Paris, Editions des musées de Strasbourg: ENSBA, 2004.

Sylvie Jopeck, La photographie et l’(auto)biographie, Paris, Gallimard, 2004.

 

David Campany, « Art et photographie », Paris, Phaidon, 2005.

 

Jonathan Lipkin, « Révolution numérique », Une nouvelle photographie, Paris, Editions La Martinière, 2006, p. 105, 108.

Christian Boltanski, La vie possible de Christian Boltanski, Paris, Seuil, 2007.

Mathilde Roman, « Art vidéo et mise en scène de soi », Essai, Paris, l’Harmattan, 2008.

 

Bibliographie sélective

 

Jean Paul Sartre, Les mots, Paris, Gallimard, 1964.

Nathalie Sarraute, Enfance, Paris, Gallimard, 1983.

Gérard Guillerault, « Le corps psychique », Essai sur l’image du corps selon Françoise Dolto, Paris, éd. Universitaires, 1989, p.25,120.

François Leperlier, Claude Cahun, Paris, Nathan, 1999.

La comtesse de Castiglione par elle-même, catalogue d’exposition, Paris, Réunion des musées nationaux, 1999.

Gilles Deleuze, Proust et les signes, Paris, Quadrige / PUF, 2003.

Eric de Léséleuc, «Les voleurs de falaise», Un territoire d’escalade entre espace public et espace privé, Pessac, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2004.

Francis Ribemon, « La photographie Pictorialiste en Europe 1888-1918 », Vénissieux, Le Point du jour : Musée des Beaux Arts, 2005.

Lina Balestriere, Freud et la question des origines, Bruxelles, De Boeck, 2008.

Magali Uhl, Les récits visuels de soi, mises en récit artistiques et nouvelles scénographies de l’intime, Presses universitaires de Paris ouest, 2015.

Jean-Louis Padel, La figuration narrative, Hazan, 2008.

Jean-François Chevrier, Formes biographiques, Hazan, 2015.

Albert Béguin, Gérard de Nerval suivi de Poésie et mystique, Paris, Stock, 1936.

José Corti, Introduction à la Psychocritique, Paris, Broché, 1963.

 

Voici quelques oeuvres différentes de ma démarche, mais je trouve intéressant de voir les liens qui nous rapprochent :

Annette Messager, Histoire des petites effigies, 1990.

Christian Boltanski, Reconstitution de gestes effectués par Christian Boltanski, 1948-1954.

Christian Boltanski, « Saynettes comiques », La mort du grand-père, L’horrible découverte, 1973.

Christian Boltanski, Composition photographique (le nounours bleu), 1977.

Cosmina von Boni, Club 33, 1998.

Eleanor Antin, Pocahontas from Recollections of My Life with Diaghilev 1919-1929, 1977-1978. Courtesy: Ronald Feldman Fine Arts.

Michel Journiac, Hommage à Freud, constat critique d’une mythologie travestie, 1972.

Tracey Moffatt, Doll Birth, 1972, «Scarred for life», 1994, Série of 9 offset prints, 80*60cm, Brisbane, IMA / Asialink Projet, 1999.

Claude Cahun, Autoportrait, Galerie Berggruen, Paris, 1927.

Claude Cahun, Le cœur de Pic, planche originale XV, Collection privée, Evreux, 1937.

Robert Gober, Pitched Crib, 1987.

Robert Gober, Untitled, enamel paint on wood, cotton, wool, and down, (92.7 x 109.2 x 192 cm), 1986.

Louise Bourgeois, La destruction du père, 1974.

Paul McCarthy,

Arnulf Rainer, Untitled (Death Mask), oil, pastel and photograph on paper support, 609*505 mm, 1978.

Cindy Sherman, Untitled Film Still, collection the museum of modern art, New York, 1979.